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le garde-voie

laisser paraître sa souffrance, son visage en portait les traces quand, deux jours plus tard, Jérôme reparut inopinément accompagné d’un grand garçon de vingt ans, qu’il poussa vers elle en disant :

— Embrasse-la.

Secoué d’une joie profonde, le cœur de Catherine bondit ; en même temps elle sentit sur sa joue le glissement de deux lèvres froides, récalcitrantes. Elle n’osa pas rendre à ce grand jeune homme son baiser, mais, dès qu’elle eut jeté les yeux sur lui, elle eut l’intuition qu’avec le temps elle désarmerait cette hostilité de jeunesse, alimentée par l’entourage. L’enfant de Jérôme avait de grands yeux gais, et dans le regard comme une flamme qui annonçait un cœur prenable. Malgré ce baiser glacial, où la révolte intérieure perçait sous l’obéissance passive, la grande frayeur qu’elle avait eue de la colère du jeune homme se dissipa. En même temps les autres objections opposées au désir de Jérôme perdaient leur importance. Pour ne pas couvrir d’ignominie le nom de Jérôme, elle aurait eu le courage de souffrir seule, mais elle ne pouvait infliger à cet homme généreux la moitié de son propre sacrifice. Puisque Jérôme la voulait malgré tout, elle se donnait. Elle se donnait tout entière avec une sorte de dévotion religieuse. Elle vouait à cet homme sa chair, son cœur, toutes les heures de sa vie, toutes les pensées de son esprit, le travail de ses mains, tout ce qui était en elle, tout ce qui viendrait d’elle, la plénitude de son être pour l’éternité.