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le garde-voie

que le tic-tac de la grande horloge accomplissait sa cadence régulière en battant l’air très fort d’un ton de défi. Tout à coup le petit bois prit feu, craqua et enveloppa de flammes la grosse bûche, l’attaquant de tous les côtés à la fois. Jules releva la tête et, le visage soucieux, incendié par la lueur du feu, il murmura :

— J’aime une femme, moi, il me la faut.

Catherine balbutia :

— Ah ! c’est cela !

Et elle réfléchit, se ressouvenant de toutes les folies d’amour que Jules, dans son juvénile besoin d’expansion, venait lui conter derrière le dos de son père. Misérables petites amourettes où il jetait son cœur au vent, ou plutôt sottes aventures où son cœur n’entrait pour rien. Elle reprit :

— Tu vois qu’il ne fallait pas jouer avec ces choses-là.

— Jouer, répéta-t-il d’un ton irrité, est-ce que je parle de jouer. Jouer… moi ! Si je n’ai pas de l’argent ce soir… je…

Rencontrant le regard effrayé de sa belle-mère, le jeune homme s’interrompit brusquement :

— Pourquoi me regardez-vous ainsi, vous ? N’avez-vous pas langui d’amour pour mon père, vous aussi ? Pour vous, c’est sérieux ; pour moi, c’est un jeu.

Et il se mit à rire d’un rire strident qui sonna lugubrement dans la chambre à demi-éclairée. Catherine se leva et vint se mettre à côté du jeune homme. Elle était remuée jusqu’au fond du cœur, mais bien que sa vie méditative eût développé et ai-