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le garde-voie

humide du brouillard d’hiver, elle rentra, et longtemps elle demeura songeuse. Elle s’efforçait en vain de retrouver son ancienne soumission passive vis-à-vis des caprices injustes de sa destinée. D’autres passions que celles de la résignation et du renoncement avaient habité son âme et la laissaient frémissante et révoltée. Jules lui inspirait une horreur où ne se mêlait plus aucune pitié. Ce sentiment nouveau s’alliait comme du fiel à sa douleur. Elle murmura enfin :

— Et c’est ce drôle, c’est ce drôle qui va décider de mon sort !

Son impuissance à dégager sa vie de l’engrenage compliqué où Jules l’avait enfermée, lui apparaissait clairement. En faisant surgir l’ombre oubliée de son père, à elle, il avait eu soin, sans doute, de peser sur la part de mal et de bien mêlée au sang que les parents lèguent à leurs enfants. Est-ce qu’elle ne connaissait pas depuis longtemps son adresse à tromper, sa souplesse hypocrite, ses ruses habiles ? Et, tout de suite, Jérôme l’avait cru ! Il avait donc toujours nourri, dans un coin secret de son cœur, l’obscure crainte de voir renaître en elle quelque vestige du passé ? Pas un moment, il n’avait songé que Jules aussi avait hérité du sang de sa mère ; c’était elle, Catherine, qui devait être la coupable ! Tout son bonheur passé n’avait donc été qu’une construction légère, sans autre assise qu’une fausse entente, une double erreur !

Elle se prit à gémir tout haut dans le silence et la