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les ignorés

épuisée et elle préparait le déjeuner de Jérôme sans y toucher. La vue des aliments la dégoûtait. Pour éviter que Jérôme s’aperçût qu’elle ne mangeait pas, elle donnait au chien tout ce qu’elle pouvait lui glisser sous la table sans être vue et l’animal, tous les jours plus démonstratif, l’adorait. Il la suivait partout, s’arrêtait où elle s’arrêtait, se tenait collé à ses jupons, jusqu’à ce que d’un mot elle le libérât :

— Va t’amuser, va.

Les jours de pluie, où Catherine gardait la maison, le chien restait couché à ses pieds des heures durant sans impatience ni ennui, prêt à bondir au moindre signe.

Avec cette garde-là, personne ne pouvait s’aventurer de nuit autour de la maison pendant les absences de Jérôme. Quand il était présent la surveillance était son affaire. Il laissait, sans paraître s’en apercevoir, grandir la préférence du chien pour Catherine. Mais un jour où, comme à l’ordinaire, il sortait de table, sans avoir levé les yeux, il appela la bête et voulut l’emmener avec lui. Mécontent, l’animal se mit à grogner, se laissant tirer par son collier jusqu’à la porte. Jérôme, impatienté, le frappait, le maltraitait, le domptait tandis que Catherine, épouvantée, murmurait :

— Va t’amuser, va t’amuser !

Pendant plus d’un mois, jusqu’à ce que le chien eût appris à lui obéir sans marchander, tous les jours Jérôme le prit avec lui.

Restée seule, Catherine réfléchissait. Cette subite