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Page:Pradez - Les Ignorés.djvu/170

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les ignorés

— Cette femme que j’ai épousée est une guenille, une rien du tout. Voilà ce que j’ai à dire, moi. Il lui faudrait des mille et puis des mille pour se nipper à sa guise et elle ne serait pas encore contente. Et maintenant voilà ce qu’il y a ; je ne fais pas de grandes phrases, moi, je dis les choses comme elles me viennent, voilà ce qu’il y a. Si personne ne m’aide à sortir du bourbier où je suis, je n’ai plus qu’à m’en aller, comprenez-vous. Il faut que je m’en aille très loin dans les mauvais pays où la fièvre tue le monde.

Et brusquement son arrogance tomba. Il poursuivit d’une voix changée et suppliante :

— C’est vrai que je n’ai pas été très gentil pour vous, mais ça s’est arrangé tout seul presque sans que je m’en mêle. Mon père m’a fait peur… Il m’aurait écrasé… tandis qu’à vous il pardonne tout. Maintenant vous voyez bien que les choses ont tourné contre moi. Je suis cent fois plus malheureux que vous ; ça doit vous contenter. Tenez, soyez gentille comme autrefois, aidez-moi encore cette fois, cette seule fois, et je vous jure que ce sera la dernière : ça, je le jure.

Catherine écoutait, muette, couler ce flot de paroles, où pas une fois l’idée de repentir n’apparaissait. Pliée presque toute sa vie sous le faix d’une faute étrangère, cette insouciance vis-à-vis d’un mal réel, commis sciemment la bouleversait. Cela la troublait si profondément que toutes ses angoisses passées et présentes, son mépris et ses rancunes se noyaient dans un