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Page:Pradez - Les Ignorés.djvu/18

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les ignorés

de Charpon contre Suzanne l’amusait. Ça excitait en elle quelque chose d’agréable qu’elle savoura longtemps, toute secouée par son hilarité muette.

Charpon reprit enfin d’un ton sec :

— Si je n’étais pas ici pour faire rentrer ta fille, tu la laisserais dehors la nuit, aussi vrai que je vis. Tu es vraiment d’une bêtise à impatienter un mort, toi.

Rose reçut l’apostrophe sans broncher. Elle était faite au vocabulaire de Charpon et ses bourrades ne l’effrayaient pas. La supériorité de son mari étant un fait indiscutable, elle se tenait pour satisfaite de le voir se plaire chez lui avec ses journaux, au lieu de hanter les cabarets du voisinage. D’ailleurs, malgré de vives rebuffades, il s’associait toujours à ses curiosités et à ses rancunes, et il en tirait, pour elle, toutes sortes de jouissances piquantes que, seule, elle ne savait pas y découvrir.

Charpon s’était penché dehors et son œil perçant fouillait la rue. Il appela enfin :

— Angélique, Angélique.

Aussitôt une petite fille d’un âge indécis entre douze et seize ans parut. Elle avait l’air malade, et dans l’œil quelque chose de triste ; elle était mince, fluette et jolie.

Charpon la regarda entrer. Il était fier de la finesse maladive de sa fille. Avec d’autres habits que ceux dont Rose Charpon la fagottait, on l’eût prise pour une petite fille de riche, mais à part ce point qui chatouillait son amour-propre, l’enfant était trop sérieuse