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thérèse

pagne, que le lourd silence d’hiver planât sur ce petit coin du monde isolé que les âpres passions de la terre semblaient devoir épargner, la femme sauta de son lit et s’habilla. Son mari dormait encore à poings fermés. Durant la longue suite d’heures de cette nuit interminable, il avait dormi du même sommeil solide, tandis que la paysanne, les yeux grands ouverts, songeait obstinément à la petite phrase courte de Pierre où sa pensée, à elle, avait enfin trouvé une forme nette, précise et pressante.

Un peu plus tard, chassée par un vent de rancune et de vengeance, elle courait sur la route glacée, et de ses lèvres bleuies, tremblantes de froid, des mots, toujours les mêmes, s’échappaient :

— On verra, on verra bien…

Il ne s’agissait plus aujourd’hui de pleurer, de gémir, de s’alanguir dans des sensibleries inutiles tandis que sous leurs yeux, ce voleur de dot se parait effrontément des dépouilles de la morte sans même mettre une pauvre petite fleur de souvenir sur la croix de bois, noire et nue.

Et, comme si la piqûre qui harponnait ses soixante ans leur eût donné des ailes, elle s’en allait de plus en plus vite sur la route desséchée où le froid de la nuit avait immobilisé la trace des pas et la boue des ornières. Oui, on arracherait des mains de cet homme habile l’objet de sa convoitise, de cette convoitise cupide et transparente qui avait donné lieu au mauvais jeu d’amour joué autour de la petite. Malgré ses