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les ignorés

Pierre hésita l’espace d’une seconde. Il cherchait dans sa tête obscure de laboureur un moyen de garder pour lui le secret de son ressentiment, tout en habillant sa pensée de vérité, mais il secoua tout de suite cet inutile travail d’esprit et il ouvrit son cœur à la place blessée.

— J’ai à dire la vérité, dit-il d’une voix basse et distincte.

Et, se tournant imperceptiblement vers le mari de Thérèse, il continua :

— Voici comment la chose s’est passée depuis que celui-là est revenu au pays :

« Justement le soir où il arrivait, la Thérèse et moi l’avons croisé sur le chemin, et la Thérèse, qui était rarement gaie depuis son grand chagrin, m’a dit :

« — Quel drôle d’air il a, ce bonhomme ! »

« Et elle a ri. Et comme nous avions marché vite et qu’il avait fait chaud, pendant le jour, elle avait des couleurs sur les joues, si bien que les marques de sa maladie ne se voyaient presque plus, pour ne pas dire plus du tout. Et quand elle a ri, je me disais justement : « Ça ne se voit plus. » Et en l’entendant rire ainsi, il m’a semblé que les dix années passées depuis sa maladie avaient été un mauvais rêve pour elle et pour moi, et que nous allions de nouveau nous comprendre comme autrefois. Mais je ne lui ai pas dit ma pensée, ce soir-là, parce que je sentais bien qu’elle ne voulait pas encore. Depuis sa maladie, elle était devenue comme ça renfermée sur ces sujets. Elle ne