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Page:Pradez - Les Ignorés.djvu/196

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les ignorés

cune contre moi qu’elle ne pouvait pas oublier. Ça lui restait là comme une pierre, et elle se révoltait. Bref, quoi que le père, la mère et moi ayons pu lui dire, elle se maria au mois de septembre d’il y a un an. »

Pierre s’arrêta une seconde, puis il reprit lentement, comme s’il savourait goutte à goutte une joie âpre, désirée depuis longtemps :

« L’homme était violent et brutal, et, bien que la Thérèse ne se plaignît jamais, on voyait sur sa figure une expression de frayeur qui y restait toujours, quoi qu’elle fît pour la cacher. Elle était devenue sèche à faire peur, et un soir que je passais devant la maison de celui-ci, j’entendis du bruit et je distinguai la voix de Thérèse qui pleurait. Alors j’entrai. Et comme j’ouvrais la porte, il disait avec un mauvais rire qu’il a :

« — Tu ne crois donc plus que c’est pour ta jolie peau que je t’ai prise ?

« Et Thérèse en me voyant poussa un cri comme de joie, et elle vint se blottir contre moi, et c’est la seule fois que je l’ai tenue dans mes bras, toute tremblante comme elle l’était. Et pendant la nuit l’enfant vint au monde trop tôt, et le lendemain Thérèse était morte. »

Pierre s’arrêta, et, au milieu du silence attentif qui régnait dans l’auditoire, il resta quelques secondes hésitant, les yeux tournés du côté des deux vieux paysans, assis côte à côte, endimanchés et solennels, puis