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les ignorés

Au léger bruit que fit la fenêtre en se fermant, la causerie s’arrêta net, les quatre interlocuteurs levèrent vivement la tête, s’entre-regardèrent, il y eut un silence,

— C’est la demoiselle, là-haut, qui en pleurera des larmes, murmura enfin le concierge entre ses dents. Une pîace comme celle-là ! Sapristi !

Et suivi de près par Justine, il s’en alla les mains dans ses poches. Mme  Madre et sa fille restèrent seules à éplucher le crin poussiéreux sous le pommier rose et le bruit de leur conversation n’arriva plus que très assourdi dans la chambre du premier.

Toute une heure s’écoula dans ce demi-silence assoupissant, puis comme dix heures sonnaient à l’horloge du corridor, Mlle  Anna prit une des bouteilles étiquetées posées sur la table à côté du lit, remplit une cuillère du contenu jaunâtre, transparent, et approcha le breuvage des lèvres du vieillard :

— Buvez, Monsieur, rien qu’une cuillerée, c’est pour vous faire du bien.

Et voyant le malade rester insensible et sourd, elle reprit le ton d’autorité qu’elle avait eu tout à l’heure pour le forcer à se défaire de sa dent :

— Buvez.

Il ouvrit la bouche, accepta la drogue et l’avala. Puis, comme si cet effort l’eût un moment sorti de sa léthargie, il ouvrit les yeux et promena un regard étonné autour de lui, chassant de la main des choses qui semblaient s’interposer entre son œil et la réalité. Et tout à coup, il aperçut, tout près du sien, le visage