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l’héritage de Mlle  anna

Il regardait, les mains dans ses poches, de l’air d’un homme habitué à de longs loisirs. Quand tout fut bien organisé et l’ouvrage commencé, il s’approcha enfin et interpella Justine :

— Cela ne va pas mieux chez vous ?

— C’est toujours la même chose.

— Sapristi.

Il remit dans sa poche sa main droite qu’il en avait tirée pour soulever son béret noir et poursuivit :

— C’est diablement long, cependant ça n’a rien d’extraordinaire. Quand j’étais infirmier au Grand Hôpital, j’ai vu un vieux durer comme ça toute une semaine. Il ne pouvait pas finir.

— Et pourtant, dit Justine, curieuse, à la fin, il est mort ?

— Il est mort.

— Moi, dit Mme  Madre, quand mon pauvre mari a passé, il a crié tout un jour, tellement que les chiens s’arrêtaient sous la fenêtre pour hurler.

— Tiens, dit la jeune fille, c’est comme la vieille Jeanne, tu te souviens, la vieille Jeanne, à la ferme. Quand elle est morte, le chien a hurlé pendant la nuit.

— Oui, oui, je m’en souviens, tu étais encore petite, tu as eu peur, tu as pleuré.

Mlle  Anna se leva, alla jusqu’à la fenêtre et la ferma doucement. Ces propos insipides, qui faisaient du sujet de sa poignante inquiétude un fait divers, un thème à commérages bêtes, dépourvus de sympathie, lui meurtrissaient l’âme.