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les ignorés

Mlle Anna se rassit, le cœur repris d’une vague espérance. Pour la première fois depuis qu’elle l’avait vu s’abattre devant elle, en apparence sans vie, le vieillard avait semblé la voir et il avait prononcé des paroles qui paraissaient dictées par une pensée. Peut-être la vue inattendue de Amélie amènerait-elle une crise plus décisive. Dans la seconde qui sépare la vie de la mort, tant de choses ignorées et insondables échappent même à la science la plus subtile. Qui pouvait dire avec certitude, qui pouvait savoir ? Elle fit effort pour déplacer un moment la lourde conviction qui l’avait oppressée constamment pendant trois jours et trois nuits de vigilance inquiète et elle se figura le prochain revoir entre le père et la fille.

Il y avait cinq ans que Mme Amélie n’était pas revenue sous le toit paternel ; il y en avait plus de vingt qu’elle l’avait quitté, emmenée au loin vers une nouvelle destinée, remettant entre les mains de Mlle Anna ses devoirs domestiques, la direction du ménage, sa sollicitude filiale, toutes ces obligations diverses, abandonnées pour obéir à une loi plus forte que celle qui attachait la jeune fille sans mère au foyer paternel. Mlle Anna avait revu plusieurs fois Mme Amélie, mais elle se souvenait d’elle surtout dans la blancheur de sa toilette de mariée. Cette apparition de fraîcheur et de pureté, rattachée aux premières impressions d’une vie nouvelle, s’était gravée d’une façon ineffaçable dans sa mémoire et dans ses affections. Aujourd’hui Mme Amélie n’était plus la svelte et suave jeune