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les ignorés

En voyant la mince silhouette grise se dresser dans la demi-obscurité de la chambre, le vieillard s’était tu. Il la considérait attentivement avec des yeux dilatés, clairs et satisfaits. Enfin il sortit de dessous les couvertures une main moite, la posa sur celle de Mlle  Anna, brûlante, sèche, fiévreuse et ils restèrent un moment ainsi sans parler, puis le vieillard murmura :

— Ma pauvre enfant. Qu’est-ce que vous allez devenir ?

Elle resta un moment silencieuse, interdite. Ce brusque retour à la raison la dépossédait du droit de faire parler, agir, obéir cet être un instant passif entre ses mains. La nature, cette même nature qui avait fait fleurir le pommier, avait un moment jeté la nuit dans ce cerveau d’homme. Elle y ramenait à présent la lumière. Elle se sentit emportée comme une paille par cette mystérieuse puissance de vie et de mort qui accomplit toujours la même tragédie autour des êtres et des germes, puis rapidement l’obscurité qui planait sur sa propre destinée, passa devant ses yeux :

— Ne pensez pas à moi, dit-elle, tandis que la conviction d’une séparation inévitable acculait à l’heure présente sa fragile espérance.

Et elle réfléchit un moment, sondant sa conscience. Mais non. Même à ce moment décisif elle ne se sentait pas le droit de pousser l’esprit de cet homme de bien vers la conception qu’elle avait elle-même de la vie et de la mort.

Ce ne fut que lorsque le jour fut devenu éclatant