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la lettre jaune

sur la table, puis elle baisa Violette au front comme tous les autres matins.

— Le petit va bien ?

— Très bien ; je l’ai mis dans sa corbeille pour rapporter moi-même la lettre, pensant que tu serais bien aise…

— Merci.

Et, inquiète de sentir le bébé seul, la mère devança Violette, laissant sur la table la lettre fermée.

Le petit gigotait encore vigoureusement au fond de l’élégante corbeille, due à la sollicitude de la grand-mère. L’aïeule avait fait faire ce berceau portatif afin de pouvoir garder l’enfant auprès d’elle toute la journée, au lieu de l’abandonner trop souvent à la surveillance douteuse d’une bonne. C’était un bébé solide, d’un an révolu, ayant sous la peau fine du visage et tout le long des membres dodus, la blancheur laiteuse des nourrissons dont on retarde le sevrage. Il s’agita davantage en voyant se pencher sur la corbeille le léger bonnet de gaze blanc, et il tendit les bras pour le prendre, pour y cramponner, comme à l’ordinaire, ses dix petits doigts tenaces.

— Non, bébé, dit Violette, pas aujourd’hui, grand’maman a autre chose à faire aujourd’hui qu’à se laisser tourmenter.

Et enlevant le petit d’un geste rapide, elle murmura d’une voix drôle pour le distraire du gros chagrin qui contractait soudain la petite figure déçue :