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les ignorés

— Grand’maman a une grande lettre jaune, une grande lettre jaune, grand’maman !

L’enfant se mit à rire très fort avec un amusant bruit de crécelle enrouée au fond du gosier, et toutes sortes de petites fossettes accidentèrent aussitôt les joues et le menton.

Cependant la toilette du petit était terminée et son premier repas expédié que la grand’mère était encore à côté de lui comme si elle avait complètement oublié la lettre laissée sur la table, et qu’elle n’eût, ce matin-là, de même que tous les autres matins, rien d’autre à faire qu’à jouer son rôle d’aïeule, ce rôle qu’autrefois, dans sa fraîcheur de vie et d’impression, elle considérait comme la fin de l’existence, le fatal naufrage où vont se briser les joies personnelles et ardentes et qui aujourd’hui lui paraissait si doux à remplir.

— À présent, Violette, dit-elle, c’est à mon tour, donne-le moi.

Et elle tendit les bras vers l’enfant. Mais Violette assit résolument le petit sur ses genoux.

— Ne veux-tu pas au moins aller lire ta lettre ? dit-elle, il y a peut-être une réponse.

Dans la voix une impatience sonnait. La jeune femme pensait au mécontentement de Madru s’il apprenait en rentrant, que la lettre était restée sur la table sans être ouverte. Dans les circonstances données, l’indifférence de sa mère lui semblait une indélicatesse envers elle et envers son mari.