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Page:Pradez - Les Ignorés.djvu/247

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la lettre jaune

— Rien ne presse, dit la veuve, après un court silence, je sais ce que c’est.

Et ayant de nouveau demandé l’enfant, elle le reçut enfin sans plus de résistance. Un instant, Violette regarda le petit s’amuser avec la gaze du bonnet blanc, la malmener à pleins doigts ; puis, sentant son fils bien surveillé, elle sortit en fermant doucement la porte derrière elle. Sur la pointe de ses petits pieds agiles, elle alla jusqu’à la chambre de sa mère, et elle prit sur la table la grosse lettre pesante, interrogeant l’écriture, le poids, la couleur, sûre de la catastrophe qui se cachait sous ce papier jaune, mais intriguée par le léger mystère qui l’enveloppait encore, et un peu irritée de l’incroyable quiétude d’esprit de sa mère.

Restée seule avec le petit, la grand’maman l’avait emporté tout près de la fenêtre et elle le regarda très longtemps dans les yeux, attentivement, cherchant une âme dans cette fragile petite boule de chair, une âme qui fût une promesse ou une menace pour l’avenir. Puis elle se mît à le balancer dans ses bras, et pour le faire rire de nouveau comme il avait ri tout à l’heure, elle répéta la phrase de Violette :

— Une grande lettre jaune, grand’maman, une grande lettre jaune !

Tout de suite l’enfant pouffa de son joli rire du gosier, étouffé et drôle. Alors la grand’mère oublia tout à fait l’impatience de Violette au sujet de la lettre jaune, ainsi que les allusions de Madru à la pension russe, allusions devenues presque obsédantes derniè-