guisé des Charpon, elle était fière de lui comme s’il eût été son propre fils.
Le fruitier et la fruitière, tous les deux, chaque fois qu’elle ouvrait sa porte, si doucement qu’elle s’y prît pour la faire glisser sur ses gonds, l’entendaient, et ils venaient sur le seuil, ricanant, lui, presque haut, elle, bas, par soubresauts silencieux. Suzanne sentait leur regard gluant attaché à ses pas, jusqu’à ce qu’elle eût tourné le coin de la rue.
La persistance de cette attention, devenue pour elle une véritable persécution, la troublait quelquefois, mais elle avait trop rudement souffert de la vie pour s’exagérer l’importance de ce tourment. Cela l’ennuyait, voilà tout ; cela l’ennuyait surtout quand Michel était avec elle, bien qu’il ne prît pas garde à l’attitude des Charpon, ou peut-être ne s’en aperçût même pas.
Pour patienter, elle se disait que dans un an, lorsque Michel serait prêtre, elle abandonnerait l’antique maison où elle avait cru s’installer pour mourir et accompagnerait, où que ce fût, le jeune curé dans sa première paroisse : la vue de Rose Charpon et de son mari ne l’obséderait donc plus longtemps. Elle irait dans des lieux nouveaux, où personne n’ayant connu son passé, ne pourrait voir, dans sa tendresse pour Michel, un souvenir trop vivant du père. N’avait-elle pas plus d’une fois entendu le ménage Charpon, à son passage devant la boutique, parler très haut de Valentin Maubraz, avec un persistant désir de lui rappeler