Page:Pradez - Les Ignorés.djvu/43

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
37
fausse route

se faisait sentir dans l’échange même des plus banales remarques. Ils parlaient prudemment du ton qu’on prend lorsqu’on craint d’éveiller dans le voisinage quelque dormeur inquiétant.

La gaîté ordinaire de Michel lorsque, autrefois, il se sentait libre de courir les bois et les champs, avait fait place à de longues méditations silencieuses. Debout à une des fenêtres ouvertes du côté de la campagne, il pouvait rester indéfiniment à regarder les bœufs tirer la charrue, ou les meules de foin s’entasser dans les prés.

Quelquefois aussi Suzanne le surprenait à regarder du côté de la fruiterie, mais furtivement et sans jamais s’y attarder.

Elle lui avait raconté dans tous ses détails l’histoire de ses relations avec Rose, mais à sa grande surprise, le souci manifesté ensuite au sujet d’Angélique n’avait suggéré à Michel aucun conseil utile.

Plusieurs jours de suite elle était revenue à la charge essayant d’apitoyer le jeune homme sur le sort malheureux de la fille des Charpon, espérant vaguement, en le forçant à comparer sa destinée à celle d’autres êtres, la lui faire trouver plus désirable, mais Michel balbutiait à peine quelques mots d’ordinaire pitié et, comme si le retour de ce sujet l’eût fatigué, il passait et repassait sa main blanche sur son front soucieux. Elle avait fini par renoncer à faire devant lui allusion aux Charpon, et très vite elle avait eu l’intuition que Michel lui savait gré de cette réserve.