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les ignorés

maison de ses pères, où elle avait cru jadis s’établir pour mourir, et de sa modeste fortune elle acquerrait pour Michel une petite terre qu’il pourrait, à force de travail, agrandir et enrichir. Elle la choisirait loin de leur lieu natal, pour arracher Angélique à son milieu et créer, entre elle-même et Rose, une définitive séparation. Hâtivement, elle cassait un à un tous les fils qui l’attachaient au passé, sentant à chaque rupture, un appel sourd de tous ses instincts l’attirer vers ces choses finies qu’il fallait quitter.

Sa main s’arrêta tout à coup sur le front de Michel, et elle murmura à mi-voix :

— Si seulement ce n’était pas une Charpon, nous aurions pu…

Michel se leva brusquement :

— Tante Suzanne, balbutia-t-il, je suis un lâche d’accepter votre sacrifice ; il est trop grand pour vous. Laissez-moi accomplir ma destinée.

Malgré l’obscurité, elle vit nettement, debout devant elle, le jeune homme à la taille grande, droite et flexible comme une tige de peuplier. Dans cette pénombre, il était si semblable à son père, qu’autour de la vieille cicatrice, une douleur sourde et complexe travailla un moment. Oui, il ressemblait à s’y méprendre à Valentin, mais il était plus fort, plus noble, plus généreux !

— Comment dis-tu, s’écria-t-elle. Un sacrifice ? Un sacrifice ? Mais ce n’est qu’à partir d’aujourd’hui que tu es vraiment mon fils ?