Page:Pradez - Les Ignorés.djvu/59

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
53
fausse route

— Je ne veux pas, moi, que tu t’immoles tout vivant, comprends-tu ? J’ai mal interprété les secrets désirs de ton père et mal accompli ma mission. Ce que je te dis, je te le dis de sa part. Prends-la puisque tu l’aimes. Je te la donne, je te la donne, entends-tu ?

Michel resta un moment assommé, muet, stupide, puis doucement il glissa à terre devant elle, l’entoura de ses bras et roula sur les genoux maternels sa tête aux cheveux ras et touffus. Des sanglots sans larmes l’étranglaient. Il murmurait d’un ton saccadé :

— Tante… tante Suzanne !

Et tout à coup, comme un tout petit enfant sur les genoux de sa mère, il pleura de vraies larmes, chaudes et abondantes.

D’un souffle le prêtre avait disparu, et un homme aux passions fortes, libéré brusquement de ses liens, avait pris sa place.

Suzanne, d’une main légère, apaisante, lui caressait les cheveux sans parler, tandis que son esprit actif regardait déjà du côté de l’avenir.

Il y avait une chose qu’elle ne pouvait absolument pas accepter : le voisinage intime de Rose et de Charpon. Elle voyait clairement l’œil méchant de Charpon luire de triomphe sous la paupière froissée, et la face pâle de Rose s’allumer d’une joie bête et bavarde. Elle pouvait tout supporter sauf la proximité de ces deux êtres.

Et tout de suite son parti fut pris. Elle vendrait la