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vivre à paris

D’une voix un peu altérée, elle ajouta :

— J’aurai une cicatrice dans la joue, de là jusqu’ici.

Et comme Julie ne trouvait rien à répondre, elle reprit du même ton :

— Qui sait ? Peut-être que je reviendrai ici. Servir pour servir ; le costume sera différent ; voilà tout.

Julie se récria. Allons donc, Micheline sœur de charité, jamais de la vie ! On s’accoutume à tout ; avec le temps on ne l’apercevrait même plus, cette cicatrice. D’ailleurs, avec tout ce qui lui restait, elle n’était pas à plaindre, elle pouvait se présenter hardiment partout.

Ce fut le tour de Micheline de se taire. Quelque. chose dans les paroles de Julie la froissait sans qu’elle eût pu dire exactement quoi. Elle éprouvait un malaise d’esprit intense d’entendre exprimer à côté d’elle une de ses anciennes pensées devenue étrangère à son sentiment actuel, et elle ne découvrait aucun moyen de rétablir l’accord entre le passé et le présent.

Agitée, elle se retourna sur son matelas d’hôpital, inclina son visage malade du côté de la fenêtre et elle regarda longtemps dehors en silence ; enfin, elle dit :

— C’est le printemps.

En effet, c’était le printemps. Déjà les hirondelles plongeant des hauteurs fendaient l’air en zigzags capricieux, puis remontaient et retournaient se perdre dans le bleu lointain et pâle.

Micheline, sous les fortes émanations de cette salle