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les ignorés

d’hôpital saturée de désinfectants, percevait l’air tiède et pur de la saison nouvelle, et elle songeait que les lilas de la ferme, là-bas, ouvraient leurs premiers boutons, allaient d’heure en heure s’épanouissant…

Julie se leva. Ses minutes étaient comptées ; d’ailleurs, malgré toute sa pitié de bonne fille, elle ne trouvait rien à dire qui fût de nature à adoucir l’épreuve de Micheline.

En la voyant debout, Micheline se récria :

— Comment, tu t’en vas déjà ?

Julie allégua l’heure qui la talonnait, et les deux amies restèrent un instant silencieuses la main dans la main.

Enfin Micheline murmura :

— Dès que je serai guérie, je m’en irai là-bas… chez nous.

— Ah ! s’écria Julie avec un élan presque joyeux, tu as raison, c’est cela, c’est cela qu’il faut faire.

Et, l’œil humide, elle se pencha et mit sur la joue libre de bandages un baiser amical comme autrefois quand, toute petite fille, elle embrassait sa jolie Micheline derrière les haies fleuries avec cet appétit de tendresse, resté inassouvi au fond de son cœur, au milieu du tapage de sa vie vide et étourdissante. Elle continua d’une voix basse :

— Toi qui as un mari, un enfant, tu n’aurais jamais, jamais dû les quitter ! Pourquoi les as-tu quittés ?

C’était la première fois depuis que Micheline et elle travaillaient ensemble qu’elle avait osé aborder si fran-