Page:Pradez - Les Ignorés.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
89
vivre à paris

il aurait trouvé la séparation moins cruelle. Il aurait souffert, pleuré, oui, mais différemment. Peu à peu, le temps, en jetant sur sa peine sa poussière d’heures, de jours et d’années, l’aurait enfouie sous le sol du passé déjà si plein de débris. Il en avait vu beaucoup d’autres se consoler ainsi de malheurs plus récents que le sien, tandis que sa plaie, à lui, se rouvrait à tout moment. Il suffisait du rire de la petite fille pour rendre vivante l’image de Micheline et le rejeter lui-même dans la perplexité insupportable de savoir sa femme errante dans cette grande ville pleine d’embûches, de menaces, de pièges pour l’honnêteté.

Il avait fait, en vain, pour la retrouver, plusieurs voyages à Paris. Sans s’adresser à personne, avec l’horreur tenace du campagnard pour toute intervention étrangère dans ses affaires, il avait erré des journées entières dans les rues et sur les grands boulevards où Micheline se plaisait jadis, espérant toujours qu’un heureux hasard la lui ferait enfin rencontrer.

La tête cassée par le bruit, éreinté, il rentrait au logis au bout de quelques jours, le cœur plus malade qu’auparavant et la conscience agitée de doutes. En brusquant Micheline la veille de sa fuite, ne l’avait-il pas poussée lui-même à cette lamentable extrémité ? Avec plus de patience, en la prenant d’un autre côté, peut-être aurait-il réussi à déraciner cette singulière envie d’aller vivre au milieu de la poussière et du tapage de Paris. Ce n’était pas ainsi qu’il fallait parler à