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vivre à paris

grande ouverte, Jules vit la silhouette bien connue de Micheline cheminer lentement sur la route. Elle s’en allait sans se retourner, avec l’allure courte qu’il lui avait toujours vue, mais avec, dans l’attitude, quelque chose de lassé, d’affaissé, qu’il ne lui connaissait pas.

Il courut à la porte, et comme la voyageuse allait tourner le coude de la route et disparaître, il appela d’une voix forte :

— Micheline, Micheline !

Micheline s’arrêta brusquement puis elle revint lentement sur ses pas.

C’était bien la véritable Micheline en chair et en os qui se dessinait en masse sombre sur le ciel éteint. Elle approchait, elle approchait… Quand elle fut tout près de lui, Jules vit trouble, il étendit les bras vers elle et balbutia :

— Micheline, est-ce toi, est-ce vraiment toi ?

Mais Micheline s’était reculée vivement avec l’horreur de cette balafre à la joue qui donnait à son retour une si poignante incertitude. Elle murmurait :

— Non, non, tu ne m’as pas encore regardée. Regarde-moi.

Il jeta sur elle un regard aigu. Le passé, un instant oublié, l’abandon, la souffrance, le rongeant mystère de cette vie menée, là-bas, il ne savait ni où ni comment, tous ces soucis, fidèles compagnons de ses loisirs, venaient, aux paroles de Micheline, de le ressaisir avec une intensité nouvelle. Il la regardait l’œil sombre et tout à coup, à la lumière crépusculaire, il