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Elle répondit froidement :

— C’est bien, cela suffit ; je lui parlerai.

Philippe ne répondit pas. Il s’attardait, caressant d’une main nerveuse sa barbe touffue. Toute son apparence dénotait un homme aux passions fortes, jouissant de la pleine vigueur de l’âge. Il articula enfin d’un ton sec :

— Ce n’est pas ma faute si ce gamin est toujours entre nous !

Et cette fois, pour éviter toute réplique, il sortit d’un pas pressé. Dans la cour un phaéton tout attelé l’attendait. Il y monta lestement, rendit la main à la jument qui piaffait d’impatience devant le perron et s’enfonça dans la campagne. Son léger attelage remportait au grand trot et peu à peu le nuage mécontent qui avait obscurci son front depuis le départ de Lucien se dissipa. Il pensait avec une joie intense que deux heures à peine le séparaient du moment où il irait prendre à la gare sa fille Isabelle, qu’après une absence de deux ans on lui ramenait enfin. Pour tromper son attente, il s’était décidé à passer par le moulin, où, sous l’effort du vent, la grande roue tournante broyait d’année en année le blé de ses abondantes moissons.