Page:Premier recueil de diverses poésies tant du feu sieur de Sponde que des sieurs Du Perron, de Bertaud, de Porchères et autres, non encor imprimées, recueillies par Raphaël Du Petit Val, 1604.djvu/45

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Je scays bien, mon Esprit, que cet air, & ceste onde,
Ceste terre, & ce Feu, ce Ciel qui ceint le Monde,
Enfle, abisme, retient, brusle, estaint tes desirs :
Tu vois je ne sçay quoi de plaisant, & aimable
Mais le dessus du Ciel est bien plus estimable,
Et de plaisans amours, & d’aimables plaisirs.

Ces Amours, ces Plaisirs, dont les troupes des Anges
Caressent du grand Dieu les merveilles estranges,
Aux accords raportez de leur diverses voix,
Sont bien d’autres plaisirs, amours d’autre Nature,
Ce que tu vois ici n’en est pas la peinture,
Ne fust-ce rien sinon pour ce que tu le vois.

Invisibles Beautez, Délices invisibles,
Ravissez-moi du creux de ces manoirs horribles,
Fondez-moi ceste chair, & rompez moy ces os :
Il faut passer vers vous a travers mon martyre,
Mon martyre en mourant : car helas ! je desire,
Commencer au travail, & finir au repos.

Mais dispose, mon Dieu, ma tremblante impuissance
A ces pesants fardeaux de ton obeissance :
Si tu veux que je vive encore, je le veux,
Et quoy ? m’envies-tu ton bien que je souhaite ?
Car ce ne m’est que mal que la vie imparfaite,
Qui languit sur la terre, & qui vivroit aux Cieux.

Non, ce ne m’est que mal, ce mal plein d’espérance
Qu’apres les durs ennuis de ma longue souffrance,
Tu m’estendras ta main, mon Dieu, pour me guarir.
Mais tandis que je couve une si belle envie
Puis qu’un bien est le but, & le bout de ma vie,
Appren moy de bien vivre, afin de bien mourir.