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Page:Prieur - Notes d'un condamné politique de 1838, 1884.djvu/101

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NOTES D’UN CONDAMNÉ POLITIQUE.

chaque minute nous éloignait, nous malheureux exilés.

Pendant cinq jours la mer fut belle et se montra indulgente ; mais le cinquième jour elle devint houleuse, sous l’effet d’un gros vent, et bientôt le mal de mer commença à faire son apparition au milieu de nous. À mesure que la tempête se faisait plus forte et que les vagues venaient battre avec plus de violence les flancs de notre triste frégate, le nombre des victimes de cet horrible mal augmentait.

Le sixième jour après notre départ, on comptait cinquante-neuf malades sur les soixante-douze prisonniers logés de notre côté du navire, et nous apprîmes, plus tard, que l’état des choses était à peu près le même, sinon pire, du côté des prisonniers du Haut-Canada, occupant le couloir de bâbord.

Ceux qui ont goûté du mal de mer ou qui en ont pu voir les effets, ceux-là seuls pourraient se figurer dans quel état nous nous trouvions, malades ou non malades, privés de lumière, mais d’air surtout, d’air si nécessaire à ceux qui sont atteints du mal en question, entassés dans un étroit espace avec défense d’occuper les lits, si pauvres qu’ils fussent, pendant le jour. Les pauvres malades étaient sans cessé obligés de se cramponner à tout pour remonter sur le banc étroit, d’où les soubresauts du navire et la faiblesse les précipitaient sans cesse sur le pont rendu humide, glissant et fétide par les vomissements.