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Page:Prieur - Notes d'un condamné politique de 1838, 1884.djvu/102

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NOTES D’UN CONDAMNÉ POLITIQUE.

Treize seulement (j’étais du nombre) échappèrent à la maladie : pendant huit jours, nous eûmes la douleur de voir nos compagnons en proie à ces tortures, que nous essayions à soulager de notre mieux. La pluie, le vent et le roulis nous empêchèrent, pendant tout ce temps, de profiter de la promenade des premiers jours. L’odeur serait devenue suffocante, si elle ne l’était déjà, sans la précaution qu’on eut de mettre une cuve dans l’entrepont qui se trouvait au-dessus de nous, dans le voisinage des lieux d’aisance. Lorsque le besoin de vomir se faisait sentir, les plus forts allaient à la cuve, et, de ceux qui étaient en santé, six étaient constamment employés à nettoyer notre pavé (c’est le nom qu’il faut donner à ce pont), pour aller déposer les eaux de lavage dans cette même cuve. C’étaient des scènes à faire bondir le cœur, et je ne comprends pas comment nous avons pu résister à de pareilles souffrances.

Ajoutez à tout cela les grossièretés, les insultes, les brutalités même de quelques hommes de l’équipage, entre autres celles d’un jeune officier du nom de Nibblett (j’écris ce nom comme nous le prononcions), qui n’avait guère de plus aimables noms à nous donner que ceux de son of a bitch (enfant de chienne), de cut throat (coupe-jarret), etc., etc. À la vue de cette indigne conduite et du traitement que nous subissions, nous eûmes la pensée qu’on avait l’intention ou de nous faire périr de misères et de souffrances dans la traversée, ou bien de nous