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Page:Prieur - Notes d'un condamné politique de 1838, 1884.djvu/122

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NOTES D’UN CONDAMNÉ POLITIQUE.

par les croyances, par le sang, par la langue, par les mœurs ; nous ignorions, pour la plupart, leurs noms, ils ignoraient les nôtres, beaucoup d’entre nous ne pouvaient se comprendre, cependant nous nous serrâmes la main avec affection ; nos yeux, à défaut de nos discours, leur offraient nos souhaits de bonheur ; nous les sentions plus malheureux que nous.

Nous eûmes, pendant notre séjour dans le port d’Hobart-town, la visite d’un homme dont je suis fâché de ne pouvoir donner le nom, mais dont la noble figure ne s’effacera jamais de ma mémoire. C’était un officier des troupes anglaises stationnées dans l’endroit ; j’ignore quel était son grade, qui, cependant, devait être élevé, à en juger par les états de service dont il eut occasion de nous parler, et par l’autorité que sa parole semblait exercer sur les officiers du bord, apparemment peu flattés de son discours.

Ce digne militaire, dont le langage et les manières dénotaient une éducation parfaite, nous donna, de suite en nous voyant, les marques de la plus cordiale sympathie. Parcourant nos rangs, en nous saluant avec bonté, il nous disait d’espérer des jours meilleurs : — « Vous n’êtes pas des criminels, nous disait-il, et votre exil ne durera pas toujours. » Puis, assimilant, avec un sentiment de délicatesse qui nous pénétrait, de reconnaissance, notre sort à celui qui l’avait frappé lui-même, il nous disait que, lui aussi, avait été prisonnier de guerre, alors qu’il servait en Espagne : il avait souffert l’ennui et les