Aller au contenu

Page:Prieur - Notes d'un condamné politique de 1838, 1884.djvu/123

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
127
NOTES D’UN CONDAMNÉ POLITIQUE.

misères de la captivité. Avant de nous quitter, il couronna ses bons procédés par ces mots, que je reproduis de mémoire, mais, j’en suis certain, sans trop m’éloigner du littéral : « Messieurs, vous n’avez pas besoin de rougir, je ne vois rien de flétrissant pour votre honneur dans la cause de votre exil. »

On ne pourrait exprimer tout le bien que font au cœur, ulcéré par d’indignes traitements, de si douces et si nobles paroles. Il nous semblait que nous étions vengés de toutes les insultes du Nibblett et des duretés d’autres officiers et employés du navire. À côté de ce noble visage de notre visiteur, leurs piètres figures faisaient pitié. Nous nous sentions comme autorisés, désormais, à les regarder de haut, ; eux étaient forcés de baisser les yeux. Je dois dire à leur louange qu’ils avaient, en effet, l’air de se sentir humiliés.

Nous demeurâmes cinq jours dans la rade d’Hobart-town, pendant lesquels on nous fit donner de la viande fraîche et des légumes : ces aliments nous faisaient du bien ; et tel était le besoin de nos pauvres estomacs délabrés que les quantités qu’on nous servait nous paraissaient à peine suffisantes pour apaiser notre faim. Nos constitutions, ruinées par les souffrances, et nos pauvres corps, rongés par les insectes, avaient tant besoin de réparation de substance que ce n’était pas de l’appétit que nous ressentions mais une véritable rage.