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Page:Prieur - Notes d'un condamné politique de 1838, 1884.djvu/203

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NOTES D’UN CONDAMNÉ POLITIQUE.

Trente-neuf de nos compatriotes, y compris M. Bourdon, avaient laissé la terre d’exil, deux y étaient morts, dix-sept y restaient donc encore, lorsque je fis connaissance à Sydney d’un négociant français qui, dégoûté du pays et ne voyant pas d’amélioration probable dans les affaires de la colonie, en était venu à la détermination de vendre, à tout prix, le fonds considérable d’articles de nouveautés qui lui restait de ses importations de France.

M. Philémon Mesnier, c’était le nom de ce négociant, me parlait souvent de mon pays et de mes malheurs, et chaque fois je lui répondais dans des termes et avec un ton qui lui firent comprendre toute l’ardeur du désir qui me dévorait de revoir ma patrie.

La nostalgie me minait, et cette maladie menaçait de me mener au tombeau. Jamais, à aucune époque de mon exil, je n’avais ressenti rien de semblable. L’ennui que j’endurais est indéfinissable, il me suivait partout : j’en vins bientôt à tomber dans la mélancolie et à ne rechercher que l’isolement, au sein duquel je nourrissais mon mal. Tous les dimanches, j’allais passer mes après-midi sur un rocher placé au fond d’une petite baie solitaire qui donnait sur la rade de Sydney : là, je rêvais de mon pays et de ma famille. Il me semblait que je suivais des yeux le sillage du navire qui avait emporté mes heureux compagnons. J’accompagnais de la pensée ce navire : avec lui je parcourais les mers, avec lui je remontais le Saint-Laurent ;