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Page:Prieur - Notes d'un condamné politique de 1838, 1884.djvu/27

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notes d’un condamné politique.

arpents de là, je pus entrevoir défiler la troupe dans l’ombre de la nuit qui venait de commencer. Le bruit de son passage n’était pas encore perdu dans le lointain que l’obscurité, maintenant complète, nous laissait voir, du côté de Saint-Timothée, la lueur des incendies que les troupes avaient allumés sur leur route.

Le lecteur devra concevoir, car je ne suis pas capable de l’exprimer, ce qui se passait alors en moi. Pendant quelque temps, je restai plongé dans des rêveries, dans lesquelles la douleur et la colère, le pardon et la vengeance, le regret et le désir bouleversaient mon cœur et mes sens.

Enfin la religion amena en nous la résignation, et, mes compagnons et moi, nous commençâmes à nous demander : — que faire ? J’étais le plus compromis de tous, mais j’étais sans famille ; je proposai de passer aux États-Unis : tous me répondirent qu’il leur fallait veiller sur leurs familles, en même temps qu’ils me conseillèrent à moi de prendre le chemin de la terre étrangère. Nous nous serrâmes la main avec un serrement de cœur et, pleins d’appréhensions, chacun pour les autres et pour soi-même, nous nous dispersâmes pour courir moins de dangers, et aussi parce que nous avions diverses directions à suivre.

Ici se termine ma carrière de militaire et de chef de troupe, et va commencer celle de fugitif, de prévenu, de condamné et d’exilé parmi les forçats.

Je ne sais pas si le lecteur s’intéressera beau-