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Page:Prieur - Notes d'un condamné politique de 1838, 1884.djvu/69

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NOTES D’UN CONDAMNÉ POLITIQUE.

recommandé, il se coucha. Je veillai près de lui : il dormit à peu près trois heures fort tranquillement.

Vers les sept heures (Vendredi 15 février 1839), son confesseur arriva : il venait lui apporter le Saint-Viatique et devait attendre pour l’accompagner à l’échafaud. Le condamné reçut la divine communion avec ferveur dans son cachot, où il demeura jusqu’à huit heures en action de grâce avec son confesseur. Le temps était venu

    Je meurs sans remords, je ne désirais que le bien de mon pays dans l’insurrection et l’indépendance, mes vues et mes actions étaient sincères et n’ont été entachées d’aucun des crimes qui déshonorent l’humanité, et qui ne sont que trop communs dans l’effervescence des passions déchaînées. Depuis 17 à 18 ans, j’ai pris une part active dans presque toutes les mesures populaires et toujours avec conviction et sincérité. Mes efforts ont été pour l’indépendance de mes compatriotes, nous avons été malheureux jusqu’à ce jour. La mort a déjà décimé plusieurs de mes collaborateurs. Beaucoup gémissent dans les fers, un plus grand nombre sur la terre d’exil avec leurs propriétés détruites, leurs familles abandonnées sans ressources aux rigueurs d’un hiver canadien. Malgré tant d’infortunes, mon cœur entretient encore du courage et des espérances pour l’avenir : mes amis et mes enfants verront de meilleurs jours, ils seront libres, un pressentiment certain, ma conscience tranquille me l’assurent. Voilà ce qui me remplit de joie, quand tout est désolation et douleur autour de moi. Les plaies de mon pays se cicatriseront après les malheurs de l’anarchie d’une révolution sanglante. Le paisible canadien verra renaître le bonheur et la liberté sur le Saint-Laurent, tout concourt à ce but, les exécutions mêmes, le sang et les larmes versés sur l’autel de la liberté arrosent aujourd’hui les racines de l’arbre qui fera flotter le drapeau marqué des deux étoiles des Canadas ; Je laisse des enfants qui n’ont pour héritage que le souvenir de mes malheurs. Pauvres orphelins, c’est vous que je plains,