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Page:Prieur - Notes d'un condamné politique de 1838, 1884.djvu/70

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NOTES D’UN CONDAMNÉ POLITIQUE.

pour De Lorimier de se préparer à marcher au supplice, le prêtre se retira pour quelque temps : ce fut moi qui aidai mon malheureux ami à faire sa toilette de victime… Comme je lui fixais, au cou une petite cravate blanche, il me dit : « Laissez l’espace nécessaire pour placer la corde. » Les larmes me partirent en torrents des yeux, en recevant de lui une pareille recommandation.

Aussitôt que sa toilette fut terminée, De Lori-

    c’est vous que la main ensanglantée et arbitraire de la loi martiale frappe par ma mort. Vous n’aurez pas connu les douceurs et les avantages d’embrasser votre père aux jours d’allégresse, aux jours de fêtes ! Quand votre raison vous permettra de réfléchir, vous verrez votre père qui a expié sur le gibet des actions qui ont immortalisé d’autres hommes plus heureux. Le crime de votre père est dans l’irréussite, si le succès eût accompagné ses tentatives, on eût honoré ses actions d’une mention honorable. « Le crime fait la honte et non pas l’échafaud. » Des hommes d’un mérite supérieur au mien m’ont battu la triste carrière qui me reste à parcourir de la prison obscure au gibet. Pauvres enfants, vous n’aurez plus qu’une mère tendre et désolée pour maintien ; si ma mort et mes sacrifices vous réduisent à l’indigence, demandez quelquefois en mon nom, je ne fus jamais insensible aux malheurs de l’infortune. Quant à vous, mes compatriotes, peuple, mon exécution et celle de mes compatriotes d’échafaud vous sont utiles. Puissent-elles vous démontrer ce que vous devez attendre du Gouvernement Anglais… Je n’ai plus que quelques heures à vivre, et j’ai voulu partager ce temps précieux entre mes devoirs religieux et ceux dus à mes compatriotes ; pour eux je meurs sur le gibet et de la mort infâme du meurtrier, pour eux je me sépare de mes jeunes enfants et de mon épouse sans autre appui, et pour eux je meurs en m’écriant : Vive la liberté ! Vive l’indépendance !

    Chevalier de Lorimier