Page:Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres, Année 3, 1860.djvu/114

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Molière met en scène des personnages de cour, mais il peint la nature humaine dans sa généralité. Il est possible, comme on l’a dit, qu’il ait fait des portraits : seulement ces ressemblances particulières, vivifiées par une haute inspiration, et traitées par un art merveilleux, sont aussi bien de notre temps que du xviie siècle. D’où vient ce singulier privilège ? De la puissance de généralisation qui, dans un génie vaste et profond, comme celui de Molière, permet d’associer le type à l’individu, de manière à faire disparaître ce qui est accidentel et passager, pour l’envelopper dans des caractères généraux et ineffaçables. Aussi Molière est-il neuf et vrai aujourd’hui, comme il l’était de son temps, et les changements politiques ou sociaux, accomplis depuis deux siècles, ont passé sur ses créations sans les altérer. Ce que Chénier disait d’Homère est vrai de tous les génies supérieurs :

Trois mille ans ont passé sur la cendre d’Homère,
Et depuis trois mille ans, Homère respecté
Est jeune encor de gloire et d’immortalité.

Cependant il y a des traits particuliers que l’on accepte sans les admirer, et qui sont dans chaque auteur, comme la constatation positive de l’époque où il a vécu, et des circonstances dans lesquelles il a pensé et écrit.

Daubian a voulu reproduire « par des expressions vulgaires et triviales, à la portée de l’intelligence la plus commune, les choses les plus brillantes énoncées dans la pièce originale. » Il a voulu faire « une comédie véritablement populaire. » La substitution du patois au français ne lui suffisait pas : il a fallu que la cour disparût, que des noms bourgeois se missent à la place des noms et des désignations aristocratiques ; de plus, que le sentiment si profondément monarchique de celui que le grand roi honorait, de manière à rendre les courtisans jaloux, ne fût pas même soupçonné par une population qui avait encore, quoiqu’affaibli, quelque chose de l’exaltation révolutionnaire. Voilà tout le secret des modifications apportées à l’œuvre de Molière par Daubian. Si la brillante Célimène est devenue Xanétoun, si l’homme