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richard wagner et la france

Faudra-t-il supprimer Samson et Javotte du répertoire, parce que M. Saint-Saëns a jadis accepté des « ordres » de Guillaume II et d’autres princes germaniques ? Et Leoncavallo, ex-collaborateur du même Guillaume II, et M. Puccini, pour une lettre imprudente, aujourd’hui pardonnée et avec raison, devront-ils disparaître de l’Opéra-Comique, où ils font, sans conteste, le plus grand « tort » aux compositeurs et au goût français ? Et Rossini, et Gounod (que son ami Jules Claretie traitait de mauvais Français, de « déserteur », en 1872, parce qu’il vivait en Angleterre[1]) ; et Ambroise Thomas, et Reyer, et Massenet pour avoir adorné de leurs musiques des livrets authentiquement allemands, bien qu’émasculés par leurs paroliers divers, ne devront-ils pas payer, eux aussi, de leur disparition de l’affiche lyrique, l’invasion de 1914 ?…

Même au plus fort de la guerre, alors que la musique était « soumise au régime de la réquisition » (Debussy), et que nous étions « privés et pour longtemps d’une musique qui ne peut être remplacée par celle des Alliés » (J. Péladan), pas un de nos compositeurs n’eût osé envisager d’aussi absurdes représailles. Aucun d’eux n’a réclamé sans ambages l’exclusion des œuvres wagnériennes qui, reprises au concert, avec le succès que l’on a constaté, un an après l’armistice, attendent encore, on ne sait pourquoi, à la porte des théâtres.

En 1915, le Cri de Paris consulta en ces termes les maîtres les plus notoires :

  1. Chronique de l’Événement du 20 juin 1871. Cf. le Gaulois du 20 septembre de la même année, qui disait assez rudement son fait à « l’Anglais Gounod ».