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richard wagner et la france

firent entendre, et la police expulsa les siffleurs. M. Saint-Saëns adressait quelques jours plus tard, de Prague, une lettre à Neumann dans laquelle il rappelait qu’il avait fait ses efforts pour que l’imprésario pût monter Lohengrin à Paris, en 1881 ; Neumann confirma ses dires et l’incident prit fin. Mais toute agitation n’était pas calmée à Paris. Un rédacteur du Succès, L. Passant, écrivait sans rire, le 6 février : « M. Carvalho commet une trahison à peine moins grave que celle de Bazaine dans l’ordre stratégique… Le wagnérisme n’est qu’une monstruosité engendrée par l’immense orgueil de l’Allemagne victorieuse, orgueil habilement exploité par un maniaque qui fut, dans sa vie publique et privée, un misérable. » Enfin le 25, l’Alcazar d’hiver jouait Lohengrin à l’Alcazar, parodie en trois tableaux, de Lebourg et Boucherat, musique de Patusset ; et le 1er avril, M. Adolphe Jullien, qui bientôt allait faire paraître son beau livre sur Wagner, écrivait dans la Revue illustrée :

« Pourquoi cette campagne menée à la sourdine et puis éclatant un beau jour en charivari patriotique ? Uniquement parce que certaines gens qui font commerce de musique — qu’ils en composent ou qu’ils en vendent — avaient calculé quel coup irrémédiable un tel chef-d’œuvre allait porter à leur trafic habituel…

« … Émouvant spectacle à suivre que cette lutte acharnée pour l’existence… Et quel cri du cœur que cette exclamation d’éditeur affamé : « Mais si Richard Wagner s’implante avec sa musique à Paris, je n’aurai plus qu’à fermer boutique ! » Assurément ; reste à savoir qui s’en plaindrait. » Ces mots résumaient cruellement la situation.