Page:Prost - Le couple au jardin, 1947.pdf/7

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
YVETTE PROST

colline du Castéou ; puis le grand miroir bleuâtre des salines. En face et toute proche, la mer rieuse éclaboussée de lumière, où s’étire la presqu’île de Giens, pareille à un grand lézard ; au delà, dans une brume azurée, les Îles d’Or ; du côté de l’ouest, la vue était bornée par les pins parasols, les hauts cyprès et les oliviers touffus du Bois Sacré d’Olbia.

Aussi loin que remontât son souvenir, Nérée Galliane avait eu les mêmes réveils enchantés sur cette large terrasse, dans ce décor harmonieux. Il se pencha vers le jardin. Sous les fenêtres de la villa blanche aux contrevents vert pâle, la brise matinale agitait doucement un fouillis d’orangers, de lauriers-roses, de yuccas géants et de pittospores qui exhaleraient dans quelques semaines un bouquet de senteurs grisantes. En face de la chambre, le plus bel arbre du domaine : le poivrier colossal dont les souples rameaux fléchissent au moindre souffle, ondulent, s’éplorent, balaient le sol et se relèvent comme la vaste chevelure de quelque divinité sylvestre. Mais il ne fallait pas s’oublier en cette contemplation. Nérée regagna sa chambre encore pleine de la fraîcheur de la nuit. Depuis son enfance, il dormait dans cette chambre spacieuse et claire aux vieux meubles d’olivier. Après son mariage, il avait parlé d’acheter un beau mobilier neuf ; mais sa jeune femme s’y était vivement opposée ; elle avait conservé avec tendresse le décor témoin des jeunes années de l’homme qu’elle aimait ; jusqu’à cette très vieille commode à tablette de marbre rouge encombrée d’un bric-à-brac de coquillages, de cailloux dorés rapportés de Porquerolles, de pommes de pins, de fleurs d’eucalyptus ; on y voyait même un nid de chardonneret. Ces choses hétéroclites rappelaient le contenu des poches des petites culottes que maman Galliane explorait chaque soir —