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Page:Proudhon - De la Capacité politique des classes ouvrières.djvu/185

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entière, et réserver néanmoins tous les droits de la liberté individuelle et corporative ; qui ne peut être par conséquent ni la communauté ou société universelle de biens et de gains, reconnue par le Code civil, pratiquée au moyen âge dans les campagnes, généralisée par la secte des Moraves, identifiée avec la constitution politique, ou l’État, et réglementée de différentes manière par Platon, Campanella, Morus, Owen, Cabet, etc. ; ni les Sociétés de commerce, en nom collectif et commandite, anonyme, participation ; concluons, dis-je, que l’Association, que la Démocratie ouvrière persiste à invoquer comme la fin de toute servitude et la forme supérieure de la civilisation, qui ne voit qu’elle n’est et ne peut être autre chose que la MUTUALITÉ ? La Mutualité, en effet, dont nous avons essayé de tracer les linéaments, n’est-elle pas le contrat social par excellence, à la fois politique et économique, synallagmatique et commutatif, qui embrasse à la fois, dans ses termes si simples, l’individu et la famille, la corporation et la cité, la vente et l’achat, le crédit, l’assurance, le travail, l’instruction et la propriété ; toute profession, toute transaction, tout service, toute garantie ; qui, dans sa haute portée régénératrice, exclut tout égoïsme, tout parasitisme, tout arbitraire, tout agiotage, toute dissolution ? N’est-ce pas là vraiment cette association mystérieuse, rêvée par les utopistes, inconnue des philosophes et des jurisconsultes, et que nous définirons en deux mots, Contrat de mutuation ou de mutualité[1] ?

  1. Les honorables citoyens qui dans, ces derniers temps ont pris sous leur patronage le développement des sociétés ouvrières, représentants du Peuple, journalistes, banquiers, avocats, gens de lettres, industriels, etc., reconnaîtront, je l’espère, qu’en donnant au terme de MUTUALITÉ, Mutuellisme, etc., pris pour formule générale de la Révolution économique, la préférence sur celui d'association, je n’ai point agi par un vain motif de gloire personnelle, mais au contraire dans l’intérêt de l’exactitude scientifique. D’abord le mot d’association est trop spécial et trop vague ; il manque de précision ; il parle moins à l’intelligence qu’au sentiment ; il n’a pas le caractère d’universalité requis en pareille circonstance. Sans compter, comme le dit un des écrivains de l’Association, qu’il existe actuellement parmi les ouvriers trois espèces de sociétés, dont il faut trouver le lien, les sociétés de production, les sociétés de consommation et les sociétés de crédit ; il en existe d’autres de secours, d’assurance, d’enseignement, de lecture, de tempérance, de chant, etc. Ajoutez les sociétés définies par le Code : Sociétés civiles et commerciales ; sociétés universelles de biens et de gains, ou communautés ; sociétés en nom collectif, sociétés en nom collectif et commandite, et sociétés anonymes. Tout cela ne se ressemble guère, et la première chose qu’aurait à faire un écrivain qui voudrait écrire un traité de l’association, serait de trouver un principe au moyen duquel il ramènerait à une formule unique ces associations innombrables, principe qui par conséquent serait supérieur à celui de l’association elle-même.
    ……Mais ce n’est pas tout : il est évident que les trois quarts, sinon les quatre cinquièmes d’une nation comme la nôtre, propriétaires, agriculteurs, petits industriels, gens de lettres, artistes, fonctionnaires publics, etc., ne peuvent jamais être considérés comme vivant en société ; or, à moins de les déclarer dès à présent hors la réforme, hors la révolution, il faut admettre que le mot société, association, ne remplit pas le but de la science ; il faut en trouver un autre qui, à la simplicité et au nerf, joigne l’universalité d’un principe. Enfin, nous avons fait observer que dans la Démocratie nouvelle le principe politique devait être identique et adéquat au principe économique ; or, ce principe est depuis longtemps nommé et défini ; c’est le principe fédératif, synonyme de mutualité ou garantie réciproque, et qui n’a rien de commun avec le principe d’association.