Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/151

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soit impossible à l’esprit, constamment obsédé de séries imaginaires et sans réalité. Cette crainte paraît même d’autant mieux fondée que la plupart des aberrations et chimères philosophiques sont venues de ce que l’on a attribué aux séries logiques une réalité qu’elles n’avaient pas, et que l’on s’est efforcé d’expliquer la nature et l’homme par des abstractions. Telle fut l’origine du réalisme. L’esprit, en vertu de son activité propre, ayant produit dans le langage, à côté des séries données par la nature, tout un monde de séries pour ainsi dire extra-naturelles, faites à l’image des premières et corrélatives à elles, l’imagination en fut d’abord stupéfiée, et la raison, tombée dans ce labyrinthe, y construisit ces toiles légères dont parle Bacon, et qui forment encore aujourd’hui tout l’avoir de la philosophie.

246. Nous verrons tout à l’heure que la raison, une fois éclairée sur la nature des matériaux qu’elle met en œuvre, n’a plus rien à craindre du mélange dans le discours des séries logiques et des séries naturelles ; que le raisonnement est aussi sûr, aussi concluant par les unes que par les autres ; que dans la pratique il faut, sans tenir compte de leur nature objective ou subjective, passer de l’une à l’autre comme si elles étaient toutes réelles et représentatives de choses. Ajoutons que, sans la série logique, le discours serait impossible.

En effet, la série logique est une énumération abrégée, une sorte de réduction algébrique enfermant sous un signe commun et conventionnel une foule de choses que l’esprit considère sous un même point de vue, sans prétendre autrement leur assigner de lien. Lorsque je dis : La couleur est une propriété des corps, n’est-ce pas comme si je disais : une des propriétés des corps est d’être ou bleu, ou blanc, ou rouge, etc., en épuisant dans ce dénombrement toutes les variétés et nuances du rayon lumineux ? Et parce que le mot couleur ne désigne rien de réel, les innombrables unités que ce signe résume en existent-elles moins, en sont-elles moins douées de propriétés communes ?

Je le répète : la série logique est un résumé de l’esprit, une manière de sommer ou totaliser les choses indépendamment de leur série naturelle, et lors même qu’elles appartiendraient à des séries toutes différentes. Si donc une assertion est vraie de certaines choses (semblables ou contraires, il n’importe) prises séparément, comment ne le serait-elle plus après leur somme ou totalisation ? Mais ne préjugeons pas la théorie.

247. Une autre illusion produite par la série logique est d’avoir fait imaginer que toute idée particulière ou collective étant représentée par un signe, et l’esprit ayant la faculté de réduire sous un