Ce tableau présente un système échelonné à la manière des divisions zoologiques, c’est-à-dire par genre, espèces et variétés. J’ai dit que ce système était inintelligible : j’observerai d’abord que le défaut d’intelligibilité d’un système ne vient pas de l’obscurité des termes qui le composent, mais de l’absence d’un lien qui les unisse. Ainsi, nous connaissons parfaitement, du moins par l’usage, chacun de nos sens : nous savons de même ce que sont l’ambition, l’amitié, l’amour, la famille ; et les phalanstériens nous ont appris ce qu’ils entendent par composite, cabaliste et papillonne. Ajoutons même que les faits, soit physiques, soit animiques ou sociaux, qui ont donné lieu à cette nomenclature duodécimale, sont vrais : là ne gît pas la difficulté. Mais nous n’en savons pas mieux combien il existe de passions, quelles sont leurs espèces, quelle en est la série. Est-ce donc la liste imaginée par Fourier qui va nous l’apprendre ?
I. Arrêtons-nous d’abord aux sous-foyères. Fourier les divise en trois catégories (remarquez ce nombre) : la première relative aux sensations, la seconde aux sentiments ou affections de l’âme, la troisième aux facultés intellectuelles. Voilà donc cette perpétuelle trinité humaine, aperçue dès l’origine de la philosophie, et restaurée de nos jours avec tant d’éclat. L’homme est un composé d’organes, de vie et de pensée ; il est Sensibilité, Activité, Raison ; ou bien encore Sensation-Sentiment-Connaissance. Jusque-là Fourier n’est point inventeur : une chose seulement le distingue. Avant lui, le nom de passions ou affections avait été réservé aux manifestations du sentiment et de l’activité : Fourier le rend commun aux sens et aux facultés de l’entendement. C’était son droit, s’il y était amené par une généralisation : mais la formation d’un genre, d’un groupe, d’une série, suppose quelque chose de commun entre les termes, un point de vue qui les rassemble et une raison qui les coordonne, c’est-à-dire un principe d’identité et un principe de différence. Où cela est-il indiqué dans le tableau de Fourier ?
Aucun philosophe jusqu’à présent n’a essayé de résoudre en un genre unique les sens, les affections et la pensée. La raison en est qu’une pareille généralisation nous est impossible, de même qu’il nous est impossible de réduire à un genre suprême ces trois universaux de la nature, la Matière, la Vie, l’Esprit. Le seul genre que nous puissions former des trois principes élémentaires de toute nature créée, c’est l’Être, une abstraction ; la véritable synthèse des facultés sensitives, affectives et distributives est l’homme, une chose concrète. Nous ne savons rien au delà.
D’après la psychologie ordinaire, les passions sont les mouve-