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vements de l’âme provoqués par le rapport des sens et par les perceptions de l’esprit : de là naissent non-seulement les affections sociales et les passions charnelles, mais encore certaines passions qui tiennent aux facultés supérieures de la raison, l’amour du beau, du vrai, du bien. D’après Fourier, les passions sont tout à la fois les mouvements de l’âme, les facultés sensitives et les intellectuelles. Or, à ne considérer que la méthode, l’analyse psychologique a sur l’analyse de Fourier une supériorité évidente : dans la première, en effet, on aperçoit entre les facultés et les passions un rapport de dépendance, par conséquent un principe de systématisation ; dans la nomenclature de Fourier, au contraire, on ne découvre aucun lien de coordination ou de connexité, partant point de série, point d’idée.

II. Passons aux radicales.

a) Selon les psychologues, les mouvements de l’âme, provoqués par l’excitation organique et par les idées, se déroulent en une progression binaire et contrastée : désir et aversion, amour et haine, joie et tristesse, admiration et mépris. Quelle que soit l’importance de ces distinctions, on y trouve du moins une ordonnance que le tableau de Fourier ne présente pas. Quel est, par exemple, le rapport soit physiologique, soit progressif, soit d’opposition, qui unit aux sens l’ambition, l’amour, le familisme ? comment ces deux catégories de passions forment-elles un système ? quel est le point de vue, la raison qui les synthétise ? qu’y a-t-il de commun entre la réceptivité organique et les impulsions intérieures de l’âme ? quel rapport du toucher à l’amitié ?

D’après l’interprétation récente d’un disciple de Fourier[1], sous les noms de vue, ouïe, goût, odorat, toucher, il faut moins entendre l’appareil organique et la sensation dont il est le véhicule, que les passions qui y correspondent. Ainsi la faculté ouïe représenterait, par exemple, l’attrait à la musique, au chant, à la déclamation, à la mélodie, à l’harmonie, etc.

Si tel est le véritable sens de Fourier, je réponds qu’alors les passions sensitives ne sont plus passions radicales ; que ce sont des sentiments mixtes, produits par la faculté tout intellectuelle d’apercevoir le beau dans les divers objets de l’intuition sensible, jointe à la délectation physico-morale qui en résulte. De la sorte, les prétendues passions sensitives appartiennent aux facultés intellectuelles par l’idéal qui leur a donné naissance, et aux affections ou passions proprement dites, par les mouvements qu’elles occasionnent dans le sens intime.

  1. H. Renaud, Solidarité.