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La production de l’ordre, tel est l’objet de la métaphysique.

22. Placé en face des choses et mis en rapport avec l’Ordre universel ou le Monde, d’abord l’Homme s’étonne et adore ; peu à peu sa curiosité s’éveille, et il se met à détailler le grand tout dont l’aspect au premier moment le subjugue, lui ôte la réflexion et la pensée.

Bientôt le sentiment de son activité personnelle lui faisant distinguer la force de la substance et le phénomène de la cause, après avoir adoré la Nature, l’Homme se dit que le monde qu’il admire n’est qu’un effet ; qu’il n’est point cette cause intelligente que cherchent son cœur et sa pensée ; et c’est alors que son âme s’élance au delà du visible et plonge dans les profondeurs de l’infini.

L’idée de Dieu dans l’homme est l’objet d’un infatigable travail, incessamment rectifié, incessamment repris. Cet Être suprême, l’homme le traite comme tous les autres êtres soumis à son étude : il veut le pénétrer et dans sa substance et dans son action, c’est-à-dire dans ce que les créatures elles-mêmes ont de plus impénétrable. De là cette multitude de monstres et d’idoles que l’esprit humain a décorés du nom de divinités et que le flambeau de la science doit faire évanouir à jamais.

Déterminer par la méthode universelle, sur les données de toutes les sciences et d’après les réformes successives qu’aura subies l’idée de Dieu en passant par la religion et la philosophie, ce que la raison peut affirmer de l’Être souverain que la conscience croit et distingue du monde, mais que rien ne lui fait apercevoir, voilà ce que doit, ce que peut être une théodicée.

23. Religion, Philosophie, Science ; la foi, le sophisme et la méthode : tels sont les trois moments de la connaissance, les trois époques de l’éducation du genre humain.

Consultez l’histoire : toute société débute par une période religieuse ; interrogez les philosophes, les savants, ceux qui pensent et qui raisonnent : tous vous diront qu’ils ont été, à une certaine époque, et plus ou moins de temps, religieux. On a vu des nations s’immobiliser dans leurs croyances primitives ; pour celles-là point de progrès. — On rencontre tous les jours des hommes opiniâtres dans leur foi, quoique fort éclairés d’ailleurs : pour eux point de science politique, point d’idées morales, point d’intelligence de l’homme. Des sentiments, des contemplations, des terreurs et des rêves, voilà leur partage.

D’autres, après avoir fait quelques pas, s’arrêtent aux premières lueurs philosophiques ; ou bien, effrayés de l’immensité de la tâche, désespèrent de marcher et se reposent dans le doute : c’est la catégorie des illuminés, des mystiques, des sophistes, des menteurs et des lâches.