Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/238

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espèces animales connues, de nouvelles manifestations de la vie. De même, au plus grand nombre possible l’esprit peut toujours ajouter une unité ; au lieu d’une communication sériée de la force, l’esprit la conçoit se produisant spontanément et opérant sans transition ; par delà Sirius et tous les soleils, l’espace s’étend encore.

Cette propriété de la série, de serrer ses unités ou de se prolonger indéfiniment, est analogue à celle dont nous parlions tout à l’heure, de présenter une série toujours nouvelle dans chacun de ses éléments, aussi loin qu’on en pousse l’analyse. Or, l’espace et le temps ne sont que des modes particuliers de cette puissance de différenciation indéfinie[1] ; mais l’esprit humain, conditionné par la série dont il est la vivante image, et subjugué d’abord par les idées de cohérence et de succession, les premières qu’il reçoive de l’intuition sensible, s’est objectivé à lui-même les concepts négatifs et spéciaux de temps et d’espace, et il en a fait ces deux figures gigantesques qui tiennent une si grande place dans la poésie, la théologie et la philosophie. L’espace et le temps ne sont rien de réel, pas plus que les millions de moyens arithmétiques que l’on peut insérer entre un et deux ; ce ne sont pas non plus des formes de l’entendement, mais de simples modalités sérielles, particulières aux séries fluente et géométrique, et dont l’homme a fait deux capacités contenant tous les phénomènes et tous les êtres.

351. L’idée du temps, suivant les psychologues, nous est donnée dans la conscience par la succession de nos pensées ; l’idée de l’espace nous vient par la vue et le toucher.

Mais d’abord nos pensées elles-mêmes, d’où viennent-elles ? Des phénomènes extérieurs dont l’âme reçoit la représentation, et auxquels nous sommes liés nous-mêmes, et comme phénomènes, et comme centres de mouvement. Donc, d’après le témoignage de la raison, le temps est une condition objective de phénoménalité avant d’être une forme subjective de notre entendement.

Une comparaison rendra ceci plus clair. Supposons l’Univers animé et intelligent, Dieu enfin, comme l’entend le panthéisme ;

  1. Kant, qui regardait le temps et l’espace comme les conditions uniques et suprêmes de l’aperception sensible, était loin de soupçonner qu’un jour on leur trouverait tant d’analogues. Or, le même argument que Kant faisait à Hume, à propos de l’idée de causalité, nous le lui opposons à lui-même au sujet des concepts de temps et d’espace. Ces concepts sont des hypothèses ou postulata de la raison ; mais ce ne sont pas les seuls de leur espèce ; il faut y en joindre une foule d’autres, qui tous se résolvent dans l’idée commune d’infini.