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altération et d’une perpétuelle incertitude : pour assurer, dis-je, la bonne foi du commerce et faire l’appoint de tous les échanges, je ne connais, je ne comprends de moyen que la monnaie. Sans la monnaie, sans cet étalon de la valeur, l’appréciation des produits voltige à tous vents, le papier de banque ne signifie rien[1], la lettre de change est impossible, les comptes ne sont jamais apurés, le travailleur ne se croit jamais payé, le marchand jamais soldé, le consommateur jamais satisfait : sans la monnaie, la société n’est pour l’homme que charrue et râtelier, l’égalité devient un joug et la liberté un leurre[2].

408. Salaire. Cette question, la plus délicate de l’Économie politique, forme le point de jonction des trois parties de la science : liée intimement à la production, à la circulation et à la consommation des richesses ; résolue seulement par la théorie de l’Organisation du travail, elle rentre, par la variété de ses déterminations, dans le domaine de la Jurisprudence.

Le salaire est encore le travail objectivé, réalisé, se faisant équation à lui-même dans le produit, mais représenté par une formule de convention qui lui permet de s’échanger à volonté, la monnaie. Ainsi, travail, produit, valeur, salaire, sont termes corrélatifs, adéquats l’un à l’autre, mais donnant lieu à des spéculations différentes.

La récompense naturelle du travail est le produit : cela posé, le taux du salaire, sous quelque valeur échangeable qu’on l’exprime, suit la quantité et la qualité du travail. Si le travail est médiocre, le produit sera médiocre ; si le travail est exécuté avec adresse, rapidité, intelligence, le produit sera plus abondant et meilleur. Conséquemment, si chaque producteur travaillait pour soi seul, comme le sauvage dans sa horde, et qu’il n’y eût pas d’échange, le salaire serait identique au produit, et le produit serait l’expression fidèle du travail.

Mais dans une société où le travail est divisé et où se manifestent les grands effets de force collective, le produit, d’une part, s’accroît en raison de cette division ; d’autre part, comme tous les travailleurs, pour jouir de leur produit, ont besoin de l’échange,

  1. La monnaie, dit Ricardo, est dans sa condition véritable, lorsqu’elle est à l’état de papier. Oui, mais c’est en tant que ce papier présuppose la monnaie métallique, dont il est la promesse, et par laquelle il s’exprime. Or, à quoi sert de dire qu’on peut se passer d’une chose qui reste toujours et nécessairement sous-entendue ?
  2. Sur cette question de la monnaie, il faut avouer que l’auteur est resté ici bien au-dessous de ce qu’il écrivit plus tard dans son Système des contradictions économiques et dans son Organisation du crédit et de la circulation. Paris, in-18, 1848. (Note de l’éditeur.)