Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sur la corruption de la nature ; et les couvents, séjours de cabales et de jalousies, de tristesse et d’ennui, furent réservés pour les élus. Dès lors, il fut convenu que les hommes, égaux devant Dieu, ne pouvaient l’être sur la terre ; une éternité de délices fut promise en échange des privations d’ici-bas, et l’aumône, l’aumône avare, remplaça la douce fraternité. En revanche, on inventa la théologie, qui a damné plus de chrétiens que la charité n’en a nourri.

47. « Il est impossible, s’écrie Herder, d’imaginer combien la pensée humaine en fut longtemps altérée, et quelle empreinte la croix laissa sur le front des peuples. Pendant des siècles les pisciculi christiani nagèrent dans des flots bourbeux ; le plus ingénieux des peuples de la terre, les Grecs, changés par mille ans d’infortunes, perfides, ignorants, superstitieux, devinrent les misérables esclaves des prêtres et des moines, à peine capables de comprendre le génie de leurs ancêtres. Ainsi finit le premier et le plus brillant État de la chrétienté : puisse-t-il n’en reparaître jamais d’autres ! »

48. Loin d’avoir en elle-même aucune force évolutive et créatrice, la religion n’a pu vivre qu’en s’appropriant la politique profane et les lois civiles.

Le christianisme est tout romain : je n’ai pas besoin de dire que je prends ce nom dans un autre sens que le catéchisme. La fraternité primitive n’ayant pu se soutenir, il fallut pourvoir d’une autre manière au gouvernement de l’Église ; on se modela sur la république. Chaque évêque devint une sorte de proconsul, ayant ses lieutenants, ses questeurs, ses édiles, ses légats et sa milice. Des synodes simulèrent les délibérations du sénat, et ne produisirent pas moins de troubles ; l’élection populaire des évêques, usitée dans les commencements, figura les comices, pendant que l’imposition des mains rappelait la transmission des faisceaux. Enfin, il y eut un empereur ecclésiastique, et, lorsque l’empire se fut divisé, il y en eut deux. Ce mouvement d’imitation s’étendit à tout : encycliques, extravagantes, canons, décrétales, définitions, rappelèrent les décrets du peuple, les sénatus-consultes, les édits du préteur, et les rescrits de l’empereur : la diplomatie pontificale et la hiérarchie ecclésiastique furent prises de celles des césars. Il n’y eut pas jusqu’à la vieille formule sacer esto, de la loi des douze tables, qui ne reparût dans l’anathema sit, par lequel on préluda tant de fois au supplice des hérétiques.

49. Peu à peu, la morale de l’Évangile se modifia sur la jurisprudence : tandis que les premiers Pères, les grecs surtout, imbus d’idées esséniennes et platoniques, vantent la communauté, s’élèvent contre le tien et le mien, propagent l’égalité civile ; les latins