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maintiennent et consacrent la propriété, le fermage, et se bornent à appeler usure l’intérêt de l’argent[1]. — Un passage de l’Évangile mal entendu fait condamner le divorce : l’Église supplée aussitôt à cette lacune en établissant une foule d’empêchements dirimants. Par une fiction théologique, elle ne cassait pas le mariage, elle disait qu’il n’y avait pas eu de mariage. — Enfin, la monogamie, enseignée par l’Évangile, trouva un auxiliaire puissant dans les mœurs grecques et romaines : on ne l’a pas encore assez remarqué. La monogamie était une institution latine, longtemps avant la prédication de Jésus : et lorsque des sectes chrétiennes, originaires d’Orient, se mirent à attaquer le mariage, la famille, la procréation des enfants, et à pratiquer une dégoûtante promiscuité, l’unité et la sainteté du mariage trouvèrent leur plus ferme appui dans les Églises de la Gaule et de l’Italie.

50. Maintenant, comme autrefois, le christianisme emprunte de tous côtés, s’assimilant ce qu’il juge lui convenir ; et avec quel discernement, grand Dieu ! Aux philosophes il prend la logique ; aux géologues il demande des conclusions favorables à la Genèse ; aux philologues, une théorie des langues qui confirme l’histoire de Babel[2] ; aux géomètres, la vérification des mesures de l’arche de Noé ; aux chimistes, de prouver que l’or dissous est potable, afin de sauver la vraisemblance de la légende du veau d’or ; aux astronomes, une explication du miracle d’Isaïe, qui fit, dit-on, rétrograder l’ombre d’un gnomon, le soleil avançant toujours[3] : il permet aux phrénologistes de dire que les têtes du Christ et de la Vierge sont l’idéal de la bonté unie à la sagesse, et de la maternité jointe à la pudeur ; mais il les condamne quand ils font des facultés et des passions le résultat de l’organisme.

Le christianisme, en un mot, ne comprend, n’admet la science que comme démonstration de ses mythes. Pourvu que l’histoire exalte les triomphes de l’Église, que la morale paraphrase le catéchisme, que le gouvernement soit le bras visible du pouvoir spirituel ; pourvu que l’art serve à élever des temples et parer des autels, le christianisme encouragera l’étude. Hors de là, il juge la science inutile ; et il n’est pas rare d’entendre des prêtres, des prêtres dont la mission est d’enseigner, accuser le gouvernement d’imprudence parce qu’il multiplie les écoles et propage l’instruction.

  1. Voir Bossuet, Traité de l’usure ; La Luzerne, du Prêt de commerce ; Gousset, notes au Dictionnaire de Théologie de Bergier, etc.
  2. Voir la conclusion du Discours de Cuvier sur les Révolutions du globe, et les ouvrages des docteurs Bucklaud et Wiseman.
  3. Bible vengée de Duclot.