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berceau, et de quelle grandeur elle accompagna nos derniers instants ! Quelle chasteté délicieuse elle mit entre les époux ? La femme vraiment forte et divine est celle en qui l’amour a fait mourir le sens, et qui conçoit sans volupté : la femme à l’état de nature, c’est la prostituée. La Religion a créé des types auxquels la science n’ajoutera rien : heureux si nous apprenons de celle-ci à réaliser en nous l’idéal que nous a montré la première[1].


CHAPITRE II


LA PHILOSOPHIE


§ I. — La Philosophie à la recherche des causes. — Aberrations
philosophiques ; hallucinations des penseurs.


79. Par la Religion, l’esprit demeure absorbé dans la substance : par la Philosophie, il s’affranchit de cette contemplation passive, et se met à rechercher la cause des phénomènes qui passent devant lui, la force qui fait mouvoir et changer incessamment la scène du monde. De là vient que la Philosophie a été définie par quelques-uns, science des causes[2], titre menteur, puisque la cause nous est aussi impénétrable que la substance.

80. L’idée de cause, dans l’entendement, est, ou peu s’en faut contemporaine de l’idée de substance ; mais, absorbée d’abord et comme éclipsée par celle-ci, elle s’en dégage peu à peu, et saisit à son tour le sceptre de l’intelligence. Et comme la religion expliquait l’univers par la division de la substance intime, par une sorte de démembrement du Tout divin ; de même la Philosophie prétend à son tour rendre raison des choses par une causation toute-puissante, et, si j’ose ainsi dire, par une extérioration de la force. De cette diversité d’hypothèses résultèrent, sur la création, l’essence et les attributs de Dieu, la nature de l’âme, ces systèmes d’ætiologie, ontologie et théosophie, qu’on a vus, avec des succès à peu près égaux, se partager l’empire de la spéculation, et qui, modifiés ou repétris, forment encore le fonds de la philosophie

  1. En lisant ces dernières pages, on s’aperçoit que l’auteur est plus religieux qu’il ne dit, et surtout qu’il ne veut être (Note de l’éditeur.)
  2. L’homme d’expérience, dit Aristote, ne sait que le fait : l’homme d’art sait le pourquoi, la cause.