Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/51

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officielle. — De là aussi la différence du génie religieux et du génie philosophique : le premier, incurieux, inerte ; le second, scrutateur intrépide, aspirant à maîtriser la nature après l’avoir devinée.

81. Aussitôt que l’esprit a réfléchi en lui-même la notion de cause, qu’il s’en est imbu et comme saturé, l’homme change : auparavant il ne faisait que croire, maintenant il aspire à comprendre, que dis-je ? il se flatte de créer. Les rapports de coexistence et de succession qu’il découvre entre les propriétés et les modifications des êtres sont autant de prodiges qui l’étonnent et qui semblent lui promettre le secret de nouveaux prodiges. Prenant la succession des rapports pour la cause des phénomènes, il ne doute pas qu’en s’emparant d’une cause, il n’en tire de merveilleux effets ; et, dans son enthousiasme, s’imaginant avoir trouvé le secret de la création, il se promet d’égaler par ses œuvres les œuvres du Dieu que jadis il adorait. Dès lors il prend en mépris les prêtres et leurs dogmes : plus avancé qu’eux, en effet, puisqu’il possède une idée qui leur manque ; mais non moins ignorant, puisque l’expérience et la théorie ne l’éclairent pas encore, il laisse la foi brute au vulgaire, et se déclare philosophe, égal à Dieu.

Telle fut l’origine de la philosophie. Le premier qui remarqua le lien ou rapport qui unissait deux phénomènes consécutifs fut le père des philosophes. Mais, ainsi que nous l’avons fait observer, ce rapport étant pris pour cause, l’esprit humain dut s’égarer dès le premier pas, et la philosophie parcourir un immense dédale de superstitions et d’erreurs.

C’est ce qu’il est essentiel de faire ressortir.

82. Voici donc la philosophie tenant en main, à ce qu’il lui semblait, la clef de la nature. La première chose sur laquelle elle s’essaya fut la religion. Ainsi, avant de connaître rien du monde, la philosophie dogmatisa sur l’auteur du monde ; avant d’étudier l’homme, elle spécula sur Dieu : aujourd’hui même, les philosophes ne procèdent pas autrement.

La plus ancienne forme religieuse est le panthéisme. Or, la philosophie, en divisant les causes, divisa la divinité ; bien plus, elle décrivit la subordination des dieux, et raconta leurs généalogies. Le Chaos et la Nuit engendrèrent le Ciel et la Terre ; de ceux-ci naquirent l’Air et l’Eau (Jupiter et Neptune) ; lesquels produisirent ensuite : le premier, le Soleil et la Lune (Apollon et Diane) ; le second les Tritons et les Néréides, les monstres marins et leurs bergers. Par une allégorie plus abstraite, l’Amour et le Mariage