Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/152

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restait intacte, et dans une certaine mesure inviolable. Jamais il n’entra dans la pensée chrétienne que les âmes fussent inégales en droits ; au contraire, il est de principe que tous sont égaux en Christ et devant Dieu. Le prêtre, ne jugeant pas les âmes, ne classe point les vivants selon leurs capacités ; il se borne à accepter, comme manifestation providentielle, le hasard de la naissance et des positions sociales, et impose au riche, en conséquence, la charité, au pauvre la résignation.

En Saint-Simon, c’est tout autre chose. L’homme est frappé dans son cœur, son âme, son esprit, son intelligence, son essence ; c’est la déchéance du moi dans ce qu’il a de plus intime, une archi-déchéance, une déchéance qui saisit l’homme avant sa conception dans le sein maternel, qui commence à l’émanation des âmes, au premier acte de la pensée divine.

Que je sois pauvre par nécessité, par accident, par décret providentiel, je puis me résigner en pensant que cela ne touche en fin de compte qu’à l’extérieur de mon être, à la superficie de ma personne ; et en me résignant je sens que je vaux, par ma résignation et mon dévouement, le plus vertueux de mes frères.

Mais qu’un prêtre, M. Enfantin et son épouse, M. Lambert ou tout autre, des hommes que je veux bien honorer tant qu’il leur plaira de rester hommes, se permettent de tarifer ma capacité, en conséquence de marquer ma place au soleil et de régler ma pitance tandis qu’ils s’adjugent des millions, j’avoue que ceci me révolte, et que si j’avais l’honneur de vivre dans l’église de Saint-Simon mon premier mouvement serait de souffleter le pontife.

On peut faire des observations analogues sur la religion positive de M. Auguste Comte, qui, au nom du vrai grand Être humanitaire, nie à priori la Justice,